LA LETTRE DE L'ARAFDES : SERAFIN-PH

 Préambule de Nadia ZEGHMAR, Directrice Générale de L'IREIS, missionnée à la Direction Générale de l'Arafdes.

« Réussir la réforme, c’est exploiter et généraliser les méthodes et avancées issues de l’expérimentation, tenir l’agenda tout en prenant en compte la parole des acteurs de terrain. » Dominique Clément, Président de l’Association nationale des directeurs et cadres des ESAT.

  1. SERAFIN-PH ?

Un séraphin, étymologiquement un serpent « brûlant » du désert, est un ange décrit par Isaïe avec trois paires d'ailes. En théologie, les séraphins sont le premier chœur de la première hiérarchie des anges. L'adjectif « séraphique » signifie « angélique » ou « éthéré ». En héraldique le séraphin, classé figure héraldique imaginaire, est une tête d'ange entourée par quatre (quelquefois six) ailes. La triade supérieure est formée d'anges qui ont le privilège de servir Dieu, de l'approcher et de le contempler.

Le projet SERAFIN-PH serait-il un ange tombé du ciel ? En réalité, il n’est pas question de terminologie théologique mais plutôt d’un acronyme pour Services et Etablissements : Réforme pour une Adéquation des financements aux parcours des Personnes Handicapées.

Le projet SERAFIN-PH vise à réformer la tarification des établissements et services médico-sociaux du champ du handicap. Il est piloté conjointement par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) du Ministère des solidarités et de la santé et la Caisse nationale de la solidarité pour l’autonomie (CNSA). L’intention qui le gouverne est rappelée en 2019 par la Ministre Sophie Cluzel dans une communication :

« Aujourd'hui, le système de financement laisse beaucoup trop de personnes au bord du chemin. Le modèle doit enfin être lisible en termes d'application pour ne pas recréer des usines à gaz. J'insiste, cette réforme est une brique importante qui s'articule avec d'autres chantiers déjà engagés comme le travail sur l'accès aux soins mené par Julien Denormandie, la problématique des transports pour laquelle nous lançons une mission avec les collectivités locales et les administrations ou encore le développement de l'habitat inclusif »[1].

Le projet Serafin-PH s’inscrit totalement dans la continuité d’un mouvement déjà engagé sur les territoires sous la forme de plateformes de services adaptées à la formulation de réponses aux situations complexes[2]. Les mots de la Ministre sont significatifs de ce registre d’une conduite du changement inscrite dans la continuité de pratiques déjà à l’œuvre.

« L'idée est d'être incitatif pour ceux qui sont engagés dans cette dynamique de plateforme et de réponses aux situations complexes. Le travail sur l'attractivité des métiers sera également un enjeu important et indispensable ! Une des lignes stratégiques du comité SERAFIN-PH est clairement d'accompagner les acteurs dans le changement »[3].

Il s’agit donc de déterminer un nouveau mode d’allocation des ressources tarifaires des établissements et services pour enfants et adultes en situation de handicap qui, tout à la fois, fait rupture avec les logiques héritées du décret du 22 octobre 2003 dont les limites font aujourd’hui majoritairement, mais pas totalement, consensus  ; facilite les parcours des usagers et permette une meilleure « lisibilité » des prestations offertes et de leur adéquation avec les besoins des personnes à qui elles s’adressent.

Nous savons aujourd’hui que le futur mode de tarification des structures pour personnes handicapées reposera à la fois sur un financement « socle » des opérateurs et sur un « droit personnalisé à prestations » pour l'usager.

La « simplification de la nomenclature », permettra (ou obligera ?) les établissements et services concernés d’adapter leurs accompagnements à des publics toujours plus diversifiés dans leurs typologies, leurs besoins et leurs aspirations. Elle a donc vocation à offrir une souplesse administrative propice à l’individualisation des parcours et à la prévention des refus de prises en charge.

Les acteurs visés par cette réforme sont nombreux : il s’agit des organisations et des publics du secteur social et médico-social, mobilisées pour l’accueil de 494 000 personnes en situation de handicap et de 600 417 personnes âgées dépendantes accueillies en établissement ou bénéficiant de services à domicile[4].

 L’allocation des ressources au secteur du handicap représente aujourd’hui 16 milliards d’euros de financement, 11250 établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) et 489 200 places au sein d’établissements. Compte-tenu de ce périmètre financier, la réforme SERAFIN-PH, telle qu’elle est présentée par la Ministre, pourrait aboutir à un changement radical qui agirait sur les causes profondes de ce que l'on veut modifier : en l’occurrence, et dans l’hypothèse la plus favorable, résoudre « un problème qui met à mal notre impératif de solidarité » [5].

Les associations ont dans ce contexte, à nouveau, une place de premier plan. La forme associative demeure cet acteur indispensable du champ social et médico-social, directement impacté par la réforme, comme le rappelle Robert Lafore[6] :

« Les associations sont, en quelque sorte, le second pilier de la décentralisation, une sorte de “décentralisation fonctionnelle” : elles s’accordent avec les logiques locales qui sont souvent indispensables à la légitimité des interventions ; elles disposent d’une grande souplesse d’adaptation pour aménager en continu le contenu de l’offre ; elles accueillent, du fait de leur malléabilité, les innovations et les innovateurs qui s’engagent dans une course sans fin entre les formes établies et les nouveautés de l’action sociale. »

Dans le cadre du projet SERAFIN-PH, le secteur médico-social est assimilé à un acteur du new public management à la française (Bezes, 2009)[7]. Cette tendance planificatrice n’a cessé de s’affirmer depuis la loi de 1975 et la loi de 2009 dite « Hôpital, Patients, Santé, Territoires ». Si SERAFIN-PH est voué à la transformation de l’offre et à la mise en œuvre de nouvelles nomenclatures permettant la comparaison et l’ajustement des prestations, son objectif est double : économique, certes, mais pas seulement.

Ne nous trompons pas sur les enjeux : la réforme est globale et systémique, sur l’offre, le coût de la prestation, la nature de l’accompagnement, etc. Ses effets organisationnels et culturels sont aussi importants que ceux relatifs directement à la réforme de la tarification dans un spectre économico-financier. La question de l’accompagnement du changement, de l’attractivité des métiers, de la place des usagers, se pose donc à nouveau et pour l’ensemble du secteur médico-social.

Les enjeux sont importants pour l’avenir du secteur médico-social, et pour la question de la solidarité en général. Les prendre au sérieux suppose que l’on ne plaque pas une solution déjà construite sur des problèmes émergents, mais que l’on prenne soin de vérifier l’adéquation entre la réponse produite et le problème que l’on tente de régler, indépendamment des motifs parfaitement légitimes de la réforme elle-même (produire une société plus inclusive, une tarification plus juste).

Les critiques de cette réforme demeurent nombreuses et principalement axées sur le sentiment que la personne humaine peut disparaître derrière le financement de l’acte codifié, sans aucune vision globale de l’individu dans son rapport à sa place et à sa société. Sur un autre versant, la réforme SERAFIN-PH est comparée à une nouvelle version de la tarification à l’activité (T2A), bien connue dans le secteur sanitaire, redoutée notamment pour son impact négatif sur la qualité de vie au travail et la dégradation de la place de l’usager dans le système de soins.

La  réforme SERAFIN-PH nous interroge donc en premier lieu sur la vision qu’elle propose de la société, et au sein de la société, sur le traitement réservé aux plus vulnérables d’entre nous. En effet, comme l’énonce la philosophe et essayiste Elisabeth de Fontenay : « On juge la grandeur d'une nation à la façon dont les plus faibles sont traités ».

Nadia ZEGHMAR

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[1] Taillandier, L. (2019, 11 novembre), SERAFIN-PH : « Le modèle tarifaire valorisera l'engagement sur des plateformes territoriales », Direction[s].fr, Consulté sur : https://directions.fr/Piloter/financement-tarification/2019/11/Serafin-PH--Le-modele-tarifaire-valorisera-l-engagement-sur-des-plateformes-territoriales-2053530W/

[2] Gacoin, D. (2019), « Plateformes de services en action sociale et médico-sociale : enjeux, stratégies, repères juridiques », Actualités Sociales Hebdomadaires, Cahier 2 n°3130.

[3] Taillandier, op. cit.

[4] CNSA (2017), Les chiffres clés de l’aide à l’autonomie, https://www.cnsa.fr/documentation/17-09_cnsa_chiffrescles_2017_exe2_bd.pdf

[5] Taillandier, op. cit.

[6] Lafore, R. (2010), « Le rôle des associations dans la mise en œuvre des politiques d'action sociale », Informations sociales, vol. 162, n° 6, p. 64-71.

[7] Coron, G. (2017), « Réformes managériales et redéfinition des catégories d’action publique : l’exemple du secteur médico-social », La Revue de l'Ires, vol. 91-92, n° 1, p. 213-235.


Démarche SERAFIN-PH, une ambition et un cheminement sur plus de 10 ans : d’une lettre de mission à la transformation de l'offre

Tribune de Dominique CLEMENT, membre du groupe technique national Serafin, ancien directeur général d’association.

C’est par une lettre de mission du 14 mars 2013 qu’est née la démarche Serafin-PH : une reforme tarifaire pour faciliter les parcours des personnes handicapées accompagnées par les services ou accueillies dans les établissements médico-sociaux.

Les autorités de tarification, les rapporteurs et les acteurs s’entendaient pour estimer que les budgets historiques attribués aux établissements devaient devenir plus simples, plus équitables en s’appuyant sur un regard qualitatif en lien direct avec les objectifs des personnes.

Il a été constitué une équipe technique Serafin issue de la DGCS et de la CNSA, pilotée par un comité stratégique (COSTRAT dirigé par le secrétariat d’état), supervisée par un comité scientifique et outillée d’un Groupe Technique National (GTN), lui-même, constitué d’une cinquantaine de représentants des fédérations, associations nationales et acteurs les plus représentatifs du secteur médico-social (une trentaine de membres assidus).

Le GTN a posé un préalable à toute réforme de la tarification : il faut partir des besoins et attentes des personnes et pour cela les identifier. C’est ainsi que les nomenclatures des besoins et des prestations sont élaborées, détaillées en 3 composantes : santé, autonomie, participation sociale.

La commande a toujours comme objectif, une Réforme pour une Adéquation des FINancements aux parcours des Personnes Handicapées. Pour évaluer les couts des prestations, il faut effectuer des Enquêtes Nationales de Couts. La recherche de ces données et leur étude avec une méthode rigoureuse, pour ne pas être contestées, exigent un temps technique éloigné du temps politique. Malgré tout, le COSTRAT du 14 novembre 2019 a demandé au GTN d’approfondir un modèle de tarification afin de mettre en place une expérimentation dès 2021 pour des résultats présentables en 2022. On peut retenir que le COSTRAT posait un calendrier tendu, mais il faut aussi pointer qu’il arrêtait un choix stratégique fondamental en éliminant un scénario de réforme d’une tarification à la prestation. Avec le recul de la crise sanitaire et les aveux aux plus hauts niveaux de la responsabilité de la T2A dans le malaise hospitalier, nous ne pouvons que nous réjouir de ce choix. Il nous faudra, cependant, être innovant pour donner toute sa place à la personne handicapée dans le financement de son accompagnement.

Ce travail d’approfondissement de la recherche d’un modèle tarifaire démontre au quotidien qu’il est indispensable de maitriser les données des couts afin de proposer une réforme qui allie l’atteinte des objectifs d’équité et de simplicité avec la réalisation qualitative de fluidifier et favoriser le parcours.

Comment un établissement ou un service, une organisation collective peuvent-elles proposer un modèle simple et équitable tout en répondant à la diversité des situations humaines individualisées?

Constituer des cases, des groupes homogènes, des profilages, essayant de rassembler des conditions tarifaires semblables, comparables, ne serait-il pas un risque fort de perdre l’écoute des besoins et des attentes des personnes, de leur famille ou environnement ?

Il est admis que la réforme tarifaire implique que les ESMS doivent s’adapter et faire évoluer leur offre. Il ne s’agit plus de faire mieux à moyens constants, nous parlons de transformation de l’offre : Demain, le modèle tarifaire inclura la bonne volonté ou l’engagement de chaque gestionnaire à répondre aux orientations des politiques publiques. Les dialogues de gestion pourraient ainsi reprendre du sens à condition que les ressources soient décentralisées au plus près des différents territoires dans la connaissance et le respect de leurs spécificités. Anecdote : La directrice Serafin vient de partir à la retraite : Son remplacement a donné l’occasion d’élargir son poste qui se titre maintenant : directrice de la mission Serafin-PH ET DE LA TRANSFORMATION DE L’OFFRE.

La réforme de la tarification amène sur le devant de la scène les MDPH et la répartition des compétences ARS/Conseil Départemental. Le catastrophique traitement local de la prime COVID aujourd'hui entre les deux autorités de tarification renforce ce questionnement ! La question de 2 financeurs se posera.

À cette heure, une expérimentation dont aucun contour n’est défini doit se faire en 2021, quel territoire, quel modèle, quelle durée, quel(s) financeur(s) ???

Surtout quelle transition d’une situation actuelle vers un nouveau modèle sans évoquer les conditions du changement et de son accompagnement ? Peut-on imaginer de laisser seul un gestionnaire dont la dotation calculée mécaniquement diminuerait drastiquement du fait de la réforme ? Une enveloppe financière d’accompagnement au changement est-elle prévue ?

Le politique voudrait accélérer un calendrier qui prévoyait une mise en œuvre après 2025. Il reste encore de nombreuses questions auxquelles il faut donner du temps et de la concertation pour une mise en œuvre effective et pertinente de la réforme tarifaire : prenons-le !

Ces questions et ces réserves ne doivent pas compromettre la démarche dont les objectifs sont louables.

Le premier point aujourd'hui positif c’est que la démarche Serafin-PH a déjà produit les nomenclatures qui contribuent à la transformation de l’offre qui n’a aucune raison d‘attendre une nouvelle tarification. Dans quelques semaines, une commission du GTN diffusera un guide pédagogique d’utilisation afin d’en promouvoir l’appropriation par le terrain. Cet axe de travail est une priorité concrète qui permet enfin d’outiller une évaluation des besoins et des attentes harmonisée facilitant les parcours, entre des acteurs et des professionnels qui parlent le même langage et partagent un même but.

Dominique CLEMENT

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Publié le 27 août 2020
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Fiche actualisée le 27 août 2020
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