Les dirigeants sont, eux aussi, soumis au lien de subordination !

Il y a, dans nos métiers de l’encadrement, de nombreux moments de satisfaction professionnelle qui donnent et redonnent de l’énergie et de la détermination. Mais il y a aussi des moments nettement moins gais et notamment ces quelques situations où le chef de service, le directeur doit soutenir et mettre en œuvre avec conviction une décision, une orientation… avec laquelle il n’est pas d’accord ! Ce n’est pas fréquent, mais cela arrive et c’est particulièrement inconfortable d’avoir à porter la décision prise par son institution, même si elle ne nous convient pas. Et pourtant il faut le faire; nous sommes payés pour ça : la loyauté est un implicite de la fonction de cadre.
Mais pourquoi donc ? Au nom de quoi ? A quel titre faut-il accepter d’endosser cette contradiction ?
Au titre du lien de subordination.

On parle peu de cette notion. Le mot est peu utilisé aujourd’hui et ce seul terme de « subordination » devient quelque peu déplacé, anachronique même, au point que ceux qui l’évoquent pourraient vite être suspectés de rejeter le « subordonné » dans les wagons de troisième classe de l’infériorité et la soumission contrainte ; dans notre inconscient collectif, il y a un peu l’idée que la subordination ne serait que l’instrument contemporain d’une nouvelle féodalité qui ne dit pas son nom…

Le lien de subordination est d’abord un concept juridique : il est caractérisé par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements. »[1] Inutile, donc, d’essayer de vouloir s’affranchir de cette notion : avec la prestation de travail et la rémunération, le lien de subordination constitue l’un des trois critères qui permet de qualifier le contrat de travail. Tout salarié, quel que soit son rang, est un subordonné. Les cadres, les cadres dirigeants, n’échappent pas à la règle.

Problème : cette définition de la cour de cassation confirme, s’il en était besoin, que le lien de subordination comporte en lui-même une asymétrie des places, une dépendance du « commis » au « commettant » qui sont possiblement ressenties comme aliénantes, comme entraves à notre désir d’autonomie et de liberté d’agir d’une part et à la nécessité d’autonomie liée à l’exercice de nos fonctions d’autre part : Alors, quoi ? … En tant que salariés, nous serions dépendants du fait de ce lien de subordination, alors même que, en tant que cadre et dirigeants nous exerçons des fonctions impliquant une « autonomie dans la décision »[2] ? Au nom de cette autonomie, nous pourrions – nous devrions peut-être – refuser d’endosser cette fameuse orientation avec laquelle nous sommes en désaccord ; mais au nom de la loyauté que l’on doit à notre employeur, nous devrions y consentir ?

Il n’est pas fréquent que nous soyons effectivement confrontés à des conflits internes de cette nature. Ils sont rares, peut-être même le sont-ils trop : dans notre secteur professionnel, la relation du directeur à ses chefs de service, du DG à ses directeurs, du président à ses dirigeants salariés reste assez largement animée d’un souci de consensus. Et c’est très bien comme cela… Mais la machine s’enraye lorsque le directeur ou la directrice, trop certain de sa compétence ou trop assuré de son pouvoir, annule la place de la présidente ou du président, lui-même trop en retrait ou trop intimidé par la complexité des problèmes pour s’affirmer pleinement dans sa fonction. Et c’est bien de cela dont il est question lorsque, sous prétexte d’arguments parfois un peu fallacieux, le dirigeant s’exonère d’avoir à accepter et à porter une orientation qui lui déplait. Ici, l’institution est en risque, parce que la gouvernance est faible.

L’autonomie du dirigeant n’est pas sans limite. Dans ce métier comme ailleurs, c’est lorsque nous aurons compris et accepté la somme des contraintes, des contingences, des dépendances auxquelles nous sommes soumis que nous pourrons commencer à exercer vraiment notre liberté.

 

Bernard LEMAIGNAN
Directeur

[1]  Cass. Soc. Arrêt « Société Générale » du 13 novembre 1996.

[2] Art. 11.4 annexe 6 de la Convention Collective du 15 mars 1966

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Publié le 06 juin 2019
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