LA LEGITIMITE EN QUESTION

L’actualité sociale des derniers mois fut tendue et il n’est pas très utile de rajouter ici du commentaire au commentaire sur cette affaire des gilets jaunes. Pourtant il est, parmi d’autres, un sujet que cette actualité nous suggère et qui nous concerne particulièrement : nous traversons une crise profonde de la légitimité.

Nombre de ceux et celles qui ont manifesté sur les ronds-points pendant plusieurs semaines et continuent de le faire ne veulent pas de porte-parole, pas de représentants, pas de délégués, dénient à quiconque le droit de parler en leur nom, voire même menacent ceux qui tenteraient de le faire. Ils expriment tout haut ce phénomène déjà largement commenté : nul ne serait désormais légitime à parler au nom d’un collectif, et encore moins ceux et celles qui auront été nommés, élus, désignés pour le faire.

S’appuyant sur le principe inaliénable de l’égale dignité de tout individu, chacun se considère fondé à parler, à revendiquer pour soi-même, à être reconnu, entendu et à obtenir une réponse singulière à sa demande particulière. D’autant que si, grâce à un tweet, on se retrouve à 200, à 2 000 ou à 20 000 à parler de la même chose, alors cette exigence individuelle a tôt fait de revêtir les atours d’une doléance à portée universelle. Nous n’avons donc plus besoin de représentants, de corps intermédiaires, plus besoin même d’intermédiaires tout court : la démocratie directe, même si elle se cherche encore une méthode crédible, entend bien déboulonner la statue millénaire de la démocratie représentative.

Quoi qu’on en pense, il va bien falloir faire avec cette idée que la place singulière de l’élu, du représentant, mais aussi du dirigeant nommé, ne va plus de soi.
Le défi n’est pas mince pour un institut de formation de cadres et de cadres dirigeants : votre formation, votre diplôme, votre nomination même, messieurs et mesdames les dirigeants, les chefs de service, votre statut, votre élection, messieurs et mesdames les présidents, les présidentes… rien de ceci ne suffit plus à fonder votre légitimité à énoncer un horizon collectif et encore moins à exercer une autorité sur des tiers !

Que faire alors pour continuer à vivre ensemble malgré l’infinie diversité de nos désirs, de nos attentes, de nos opinions et de nos conceptions de ce qui est juste et de ce qui est bon ?

Les organisations collaboratives, les collectifs locaux, les coopérations transverses, tout ce monde des « communs » se voudrait par bien des aspects l’avant-garde d’un modèle futur du vivre ensemble. La convergence d’intérêts, les objectifs partagés, la simple envie de faire ensemble conduisent de fait des acteurs sociaux qui se côtoyaient sans se rencontrer à se parler, à travailler ensemble, à coopérer, à démultiplier leurs forces et à réaliser des choses ensemble. C’est un mouvement puissant et certains de ces collectifs parviennent à installer des systèmes de gouvernance non hiérarchiques crédibles, au moins pour un temps.

Mais ce sont, par nature, des alliances affinitaires qui, précisément, ne tiennent que par une adhésion, même minimum, à un idéal partagé, fut-il évanescent ; elles ne peuvent pas réellement devenir des systèmes durables de régulation collective de masse.

Alors comment faire au sein de nos organisations ? Les transformer en SCIC ? Recourir au référendum d’initiative individuelle ? Tirer au sort les membres des assemblées délibératives ? Organiser la rotation périodique des dirigeants ? Promouvoir la sociocratie ? Peut-être… peut-être faut-il en effet multiplier ces voies de collaboration : on est moins bêtes à plusieurs lorsqu’il faut réfléchir à des questions complexes.

Mais le recours au management collaboratif, s’il est parfois choisi pour sa plus-value éthique, est aussi parfois concédé sans conviction par effet de mode ou faute du courage qu’il nous faut pour endosser la charge de la décision.

 Car au fond, non. Nous ne croyons pas, ici, à l’écrasement de la différence des places ni au crépuscule de la légitimité.

Certes, elle n’est plus conférée d’office et il ne suffit pas d’afficher ses galons pour prétendre occuper une place de pouvoir : il faut sans cesse conquérir et reconquérir sa légitimité, faire œuvre de compétence, de force de conviction, de volonté opiniâtre, s’astreindre à l’exigence de cohérence et d’exemplarité, rester ouvert au dialogue, au compromis, à la nuance.

Mais décidément, non ! Ne pas y renoncer !...

Bernard LEMAIGNAN,

Directeur

 

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Publié le 05 février 2019
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Fiche actualisée le 05 février 2019
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